Au mois de mars 2025, la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) demande à se placer sous la protection de la Loi sur la faillite. En plus de signaler la fin pour ses 80 succursales restantes, la nouvelle sonne le glas d’une très longue histoire, une histoire qui a débuté... en Nouvelle-France!

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Une histoire coloniale d’abord et avant tout
Loin d’être une simple chaîne de magasins, la CBH est profondément ancrée dans l’histoire économique, écologique, coloniale, sociale et étatique du Canada. Sa fondation remonte à l’époque de la Nouvelle-France, avec Pierre-Esprit Radisson et Médard Chouart Des Groseilliers, tous deux d’origine française. Lorsque le gouverneur de la Nouvelle-France les accuse de faire illégalement la traite des fourrures dans la région des Grands Lacs, les deux hommes, en guise de réponse à cette accusation, se tournent vers l’Angleterre afin d’obtenir un soutien pour leurs nouvelles expéditions. Cette collaboration donne naissance à la Hudson’s Bay Company en 1670.
L’arrivée de la CBH sur la scène coloniale crée une nouvelle compétition pour les fourrures du Canada, ce qui oblige les marchands de la Nouvelle-France à redoubler d’effort afin de pénétrer dans le continent en quête de pelleteries. La concurrence est féroce : qu’il s’agisse des frères D’Iberville, qui capturent tous les forts britanniques de la baie d’Hudson (sauf un), ou bien du développement d’une chaîne de postes de traite français jusque dans le territoire de l’actuelle Alberta, les Français en Amérique agissent et réagissent en fonction des activités de la CBH. D’ailleurs, de nombreux employés, agents et interprètes de la compagnie sont des Canadiens français de la même trempe que Radisson et Des Groseilliers.
Même après la fin de la guerre de la Conquête, en 1763, la CBH continue d’embaucher des centaines, sinon des milliers de voyageurs canadiens-français, qui transportent fourrures et marchandises entre ses divers postes de traite. L’influence de la CBH est telle que la compagnie va même négocier des traités avec les Autochtones au nom de la Couronne britannique. Par son monopole territorial, elle occupe une place importante dans la création des provinces de l’Ouest. Elle est notamment à l’origine de la fondation de villes comme Winnipeg, Edmonton et Vancouver. Cette mainmise sur ce qu’on appelle à l’époque la Terre de Rupert s’étend également sur une partie de la future province de Québec qui inclut l’Abitibi, le Nord-du-Québec et le Saguenay. L’hégémonie territoriale de la CBH se perpétuera jusqu’en 1870, année où le Canada lui achète la Terre de Rupert pour une somme de 300 000 livres sterling et récupère les droits d’exploitation sur un vingtième des terres agricoles disponibles pour la colonisation.
La cession totale des terres de la CBH est complétée en 1925, mais la compagnie ne disparaît pas pour autant. Elle s’adapte au gré de l’économie : misant dorénavant sur le commerce de détail, elle installe ses magasins dans les grandes villes canadiennes. Même les villages les plus éloignés peuvent compter sur son catalogue. Et la traite des fourrures se poursuit : au Québec, vers 1965, la CBH compte toujours 29 comptoirs actifs. Toutefois, derrière les belles façades commerciales et les célèbres rayures emblématiques de la compagnie se cache un côté plus sombre. Comme le démontre le documentaire percutant La face cachée des transactions (1972), tourné à l’occasion du 300e anniversaire de la CHB, l’entreprise a longtemps tenu en laisse, sur le plan économique, ses principaux clients : les Autochtones du Canada. Ce fait vient mitiger l’histoire d’une compagnie longtemps célébrée dans le récit national canadien.
Sur les traces de la CBH à BAnQ
À partir de 1931, les documents de la Compagnie, conservés à Londres, sont accessibles aux historiens, mais de façon limitée. Ils deviennent plus faciles d’accès en 1974, lorsque les collections de la CBH sont déposées aux Archives provinciales du Manitoba. En 1994, la collection est léguée en permanence à la Province du Manitoba, constituant « l’un des cadeaux publics les plus importants jamais offerts [d’une valeur estimée] à près de 60 millions de dollars » en documents et artefacts. Par ailleurs, les économies d’impôt (environ 23 millions de dollars) résultant du don permettent la création d’une fondation « afin d’aider au fonctionnement des [Archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson] en tant que division des Archives provinciales du Manitoba, ainsi qu’à la mise en œuvre d’autres activités et programmes ». L’archiviste provincial du Manitoba, Peter Bower, note à l’époque : « On dit qu’il s’agit du fonds d’archives le plus important et le plus complet après celui du Vatican. » La collection comprend entre autres 160 000 photographies et 2000 mètres linéaires de documents. Le tout est conservé principalement à Winnipeg, avec des copies et quelques originaux à Ottawa, dans les installations de Bibliothèque et Archives Canada.
De nombreuses institutions, incluant Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), profitent encore aujourd’hui de ce don, grâce au microfilmage. Les Archives nationales à Québec, par exemple, conservent deux microfilms comprenant des copies de documents produits entre 1668 et 1904 (cote : ZC55).
Si le sujet vous intéresse, vous pouvez également explorer la collection Compagnie du Nord-Ouest (P255) aux Archives nationales à Montréal et le fonds Famille Frémont 1725-1902 (P85) aux Archives nationales à Québec pour en apprendre davantage sur la Compagnie du Nord-Ouest, un compétiteur de la CBH jusqu’à leur union forcée par la Couronne britannique en 1821.
Il est également possible de chercher un ancêtre voyageur ayant travaillé pour la CBH. Andrew Graham, un important agent de la CBH, écrivait en 1775 que les Canadiens français « sont des hommes recherchés, habitués aux rigueurs et à la fatigue, sous lesquelles la plupart de vos serviteurs actuels succomberaient. » (voir Stephens, Masters and Servants, p. 128). Pour trouver un ancêtre voyageur, vous pouvez vous tourner vers la Société historique de Saint-Boniface, au Manitoba : celle-ci gère la base de données des Voyageurs, qui s’appuie sur les nombreux greffes de notaires trouvés au Québec et conservés par BAnQ.
Enfin, BAnQ conserve de nombreuses études et collections de transcriptions de documents, incluant plusieurs tomes de l’impressionnante série de publications de la Hudson’s Bay Record Society (dont Northern Quebec and Labrador Journals and Correspondence 1819-35).
Lectures suggérées :
Beattie, Judith Hudson et Helen M. Buss (dir.). Undelivered Letters to Hudson’s Bay Company Men on the Northwest Coast of America, 1830-57, Vancouver et Toronto, UBC Press, 2003, 497 p.
Berthelette, Scott. Heirs of an Ambivalent Empire: French Indigenous-Relations and the Rise of the Métis in the Hudson Bay Watershed. Montréal & Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2022. 353 p.
Petit historique de la Compagnie de la Baie d’Hudson, Winnipeg, Compagnie de la Baie d’Hudson, vers 1965, 46 p.
Ruggles, Richard I. A Country So Interesting: The Hudson’s Bay Company and Two Centuries of Mapping, 1670-1870, Montréal et Kingston, McGill Queen’s University Press, 2011 (1991), 300 p.
Stephen, Scott P. Masters and servants: The Hudson’s Bay Company and its North American workforce, 1668-1786. Edmonton, University of Alberta Press, 2019. 407 p.